Par Vincent PELE(1) et Jean-Luc VIRUEGA(2).

Depuis la récente évolution de la réglementation européenne avec le projet de loi européen ʺzéro déforestationʺ (RDUE) [1], le vocable « traçabilité stricte des produits » est utilisé pour résumer cette nouvelle législation en cours de validation par l’UE. Cette qualification ʺstricteʺ pour la traçabilité des produits bois est-elle exacte ? Est-ce vraiment nouveau pour la filière bois ? Cela pose-t-il réellement un problème ? Cet article donne le point de vue de deux experts, la traçabilité sous certification dans la filière bois et la traçabilité industrielle sur fond d’expertise judiciaire.

Quel est le contexte ? Pour comprendre cette nouvelle réglementation européenne, revenons quelques années en arrière.

L’UE (Union Européenne) a mis en place le FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance and Trade) le 03/03/2013 pour lutter contre le commerce des bois illégaux [2] avec d’une part les APV (Accord de Partenariat Volontaire) pour les pays exportateurs de bois et d’autre part le RBUE (Réglementation Bois Union Européenne) [3] pour les pays importateurs de bois.

Le RBUE a été intégré dans la Loi française [4] depuis le 13/10/2014 : tout importateur de produits bois d’origine hors UE doit collecter les informations auprès de ses fournisseurs, réaliser une analyse de risque par produit, puis supprimer ou diminuer ce risque s’il est avéré (limitant ainsi les importations de produits bois de source illégale) ; ces activités sont appelées « Système de Diligence Raisonnée » (SDR, ou DDS en anglais pour Due Diligence System). Le cas contraire, c’est un délit par la Loi française (également pour chaque pays de l’UE selon sa propre législation nationale). En France les contrôles sont réalisés par les autorités compétentes (DRAAF, DDT, DDTM [5]).

Conformément à l’engagement pris dans le « Plan Climat » adopté en juillet 2017, les Ministères concernés en France ont annoncé le 14/11/2018 l’adoption de la Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée (SNDI [6]) destinée à mettre fin d’ici 2030 à la déforestation causée par l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables. La SNDI vise à couvrir la déforestation dans son ensemble, y compris la déforestation légale et les problèmes liés à la dégradation des forêts [7]. Depuis le 1er janvier 2022 tout achat public en France doit désormais être issu d’une source de non-déforestation (la SNDI reprend le SDR du RBUE).

L’UE n’est pas la seule à se doter d’une réglementation pour ne plus participer au commerce de bois illégaux, et en se basant sur l’analyse de risque : les Etats-Unis (US Lacey Act, 2008), l’Australie (Australian Illegal Logging Prohibition Act, 2012), le Japon (Clean Wood Act, 2016). Malgré ces démarches, la déforestation continue :
– après 2 années catastrophiques depuis 2016, la disparition en 2018 de 3,6 Mha (millions d’hectares) de forêt pluviale primaire (une superficie équivalente à la taille de la Belgique) est particulièrement préoccupante (WRI, [8]) ;- en 2021, c’est 3,75 Mha de forêts primaires tropicales, soit l’équivalent de 10 terrains de football par minute, et la conséquence de 2,5 Gt d’émissions de dioxyde de carbone, soit l’équivalent des émissions annuelles de combustibles fossiles de l’Inde (WRI, [9]) ;
– le rapport FAO 2022 sur la situation des forêts du monde montre que la déforestation diminue depuis la période 1990-2000, mais ce sont encore 10 Mha de forêt qui ont été éliminés chaque année sur la période 2015-2020 ; 47 Mha de forêt primaire ont été perdus de 2000 à 2020 [10], une surface presque équivalente à celle du Cameroun.

Quant aux contrôles, les résultats rapportés par UNEP-WCMC pour la période janvier à juin 2019 [11] montrent un nombre de contrôle faible et hétérogène par pays (par exemple 5 entreprises contrôlées en France contre 134 en Allemagne sur l’année 2019), également des entreprises en infraction avec cette réglementation. En France le plan de contrôle 2019 [12] concernait 150 entreprises importatrices soit 1,2 % du total, 4676 flux d’importation soit 1,7 % du total, 145 000 tonnes de produits importés soit 6,3 % du total ; une quarantaine de contrôle réalisé en 2022 sur 15 500 importateurs de bois en France, soit 0,26% [13] : un taux de contrôle relativement faible de l’Etat français au regard des quantités importées et des enjeux.

Mettre en application le RBUE pour une entreprise, quelle que soit sa taille (TPE, industriel ou groupe distributeur), signifie réaliser une analyse de risque de chaque produit bois par an (et chaque fois qu’il y a une modification du produit bois ou de sa Supply-Chain), y compris chaque composant s’il n’est pas issu de la même origine, collecter les informations nécessaires dans la chaîne d’approvisionnement et réduire le risque s’il est identifié : ces activités nécessitent du temps et du personnel. A ce jour l’Indonésie est toujours le seul pays délivrant des attestations FLEGT depuis le 15/11/2016 (permettant ainsi aux entreprises importatrices de ne pas réaliser une analyse de risque) ; 10 pays sont dans un processus similaire en cours [14].

Visant en priorité l’importation de bois illégaux (ou potentiellement illégaux), le RBUE évoque déjà la dégradation des forêts sans l’inclure directement en action concrète : « L’exploitation illégale des forêts (…) représente une sérieuse menace pour les forêts dans la mesure où elle contribue à la déforestation et à la dégradation des forêts » [15].

En parallèle sur le plan international, la problématique du climat se développe très rapidement (publications IPBES [16] et GIEC [17]). Un rapport du WWF [18] informe le public que l’UE est responsable de la destruction des forêts à hauteur de 16% de ses importations, facteur important du réchauffement climatique et de la perte de biodiversité. La prise de conscience sur le sujet environnement et climat devient réelle et généralisée. La Commission Européenne adopte alors le 17/11/2021 une nouvelle proposition de loi [1] en faveur du pacte vert pour l’Europe (ʺGreen Dealʺ) afin d’enrayer la déforestation imputable à l’UE (ʺdéforestation importéeʺ) : ʺTous les opérateurs économiques devront respecter les mêmes exigences et exclure de leurs chaînes d’approvisionnement les produits qui causent la déforestation et la dégradation des forêts, favorisant ainsi une concurrence loyale et durable.ʺ La dégradation des forêts prend cette fois-ci sa place dans les causes à exclure au niveau de l’UE après la France (SNDI), et plusieurs produits sont cette fois-ci concernés en plus du bois : l’huile de palme, le bœuf, le soja, le café, le cacao. Le taux de contrôle est établi à 5% des entreprises et 5% des quantités par chaque Etat (article 14, al. 9 [1]).

Sur le sujet « déforestation/dégradation » des forêts, le Comité Scientifique et Technique Forêt (CST-Forêt) publie le 02/11/2022 les résultats de son étude concernant les normes de certification et la SNDI (sur le sujet déforestation et dégradation des forêts) [19] : « FSC et PEFC répondent aux principales exigences de la SNDI, contrairement aux autres normes existantes. Cependant, les auteurs mettent aussi en évidence certaines limites ; pour être parfaitement conforme, des améliorations sont proposées. (…) Ils montrent que les 4 normes vérifiant la légalité du bois [LegalTrace®, LegalSource, Origine et Légalité des Bois, Legal Harvest Verification] ne garantissent que l’absence de déforestation illégale. Elles dépendent de la législation des pays exportateurs et de son application effective. Elles ne sont pas adaptées pour garantir l’absence totale de déforestation et de dégradation des forêts. »

Sur le sujet « traçabilité », les exigences vont plus loin avec cette proposition de loi en demandant à présent la géolocalisation (latitude et longitude) de la zone d’exploitation (parcelle forestière) ainsi que le jour d’exploitation (Article 9, alinéa 1.d). Le Conseil Européen a adopté le 28/06/2022 [20] sa position de négociation (orientation générale) sur ce projet de loi. C’est le 06/12/2022 que le Parlement et le Conseil européen concluent ensemble un accord provisoire pour adopter le règlement de l’UE relatif aux chaînes d’approvisionnement ʺzéro déforestationʺ qui ʺgarantira que certains biens essentiels placés sur le marché de l’UE ne contribueront plus à la déforestation et à la dégradation des forêts dans l’UE ni ailleurs dans le mondeʺ [21]. Cette loi devrait être applicable dès 2024 pour les entreprises et remplacera le RBUE.

Ce résumé montre la progression inéluctable des exigences réglementaires pour la protection des forêts ; le bois n’est plus seul à présent (huile de palme, bœuf, soja, café, cacao, caoutchouc) et même hors tête de liste des produits causant le plus de déforestation en considérant séparément chaque région du monde [22].

Parallèlement à cette situation la crise de la COVID a accentué pour toutes les entreprises le sujet de la maîtrise du risque dans les chaînes d’approvisionnement de leurs produits, touchant directement les stratégies d’achats. Ce sujet a été pris en compte par les organismes de certification avec les évènements en Ukraine depuis février 2022 : les annonces croisées des organismes FSC [23] et PEFC [24] rendent tous les produits bois d’origine Russe et Biélorusse non-certifiés (y compris certaines zones de conflits en Ukraine), jusqu’à l’arrêt des activités de l’organisme d’accréditation ASI pour FSC dans ces pays [25;26].

Malgré un délai supplémentaire accordé dû au contexte du COVID, la nouvelle version des normes de certification FSC et PEFC en chaîne de contrôle a dû être appliquée dès 2022 (et toujours en cours pour PEFC). Du côté FSC, les exigences ajoutées concernent principalement les valeurs fondamentales du FSC en matière de droit du travail en relation avec les conventions de l’OIT et la législation de chaque pays (auto-évaluation) [27]. En revanche du côté PEFC, la nouvelle version fait un grand pas en avant avec des exigences ciblant le « greenwashing » [28], notamment l’obligation que tous les produits bois hors champ d’application du certificat soit analysés (SDR/DDS) concernant leur origine ; et dans la suite logique l’obligation de ne pas vendre ces produits bois s’ils sont de « sources controversées » (c’est-à-dire de risque élevé ou dénommés « significatifs ») ; l’exigence ultime demandée par la norme PEFC est « l’annulation ou la suspension de tout contrat ou commande de bois jusqu’à ce que le fournisseur puisse démontrer que des mesures d’atténuation des risques ont été mises en œuvre » [28;29] ; ces nouvelles exigences impliquent à présent les contrôles nécessaires lors de chaque audit annuel.

Quelles sont à présent les incidences sur la connaissance de l’origine des produits bois sous le terme traçabilité ?

Dans la filière bois la certification de la légalité des produits bois ou de la gestion responsable des forêts (par exemple FSC ou PEFC) intègre déjà des exigences de traçabilité de ces produits ; ces exigences visent à la fois le système de management et le système opérationnel de la traçabilité interne à l’entreprise. Chaque maillon (entreprise) de la chaîne d’approvisionnement est certifié (FSC ou PEFC) et son système de traçabilité est basé sur l’entité de chaque produit ou d’un lot de mêmes produits.

Le premier maillon de cette Supply-Chain, le gestionnaire forestier, est capable d’identifier l’origine des forêts selon son propre système mis en place (répondant aux exigences de traçabilité de la norme sélectionnée), et ainsi de distinguer les produits forestiers (grumes, ou lot de billons) issus d’une forêt certifiée (surface inclue dans le périmètre de son certificat) et ceux issus d’une forêt non-certifiée. Ainsi le dernier maillon qui vend un produit dit ʺcertifiéʺ a la garantie que son produit vendu provient d’une forêt gérée de façon responsable par le premier maillon. Cette garantie peut être visible par un label apposé sur le produit vendu, ou non (car non obligatoire). Si cette Supply-Chain n’est pas certifiée (FSC et/ou PEFC), cette garantie peut être alors très variable, voire inexistante ; il suffit d’un seul maillon déficient pour que la totalité de la chaîne soit remise en question, voire sans aucune traçabilité possible pour le produit fini. D’où des audits seconde-partie imposés par des entreprises à leurs fournisseurs avec leurs propres exigences, avec un coût variable.

Une précision non négligeable ayant toute son importance : tous les titres forestiers ne sont pas ʺcertifiablesʺ en gestion responsable des forêts (FSC ou PEFC) : en fonction de la législation forestière du pays, certaines forêts ne sont pas « aménagées », c’est-à-dire sous plan de gestion ou plan d’aménagement, et par conséquent ne peuvent pas répondre aux exigences d’une certification responsable (i.e. gestion durable). Bien entendu dans ce cas la traçabilité est sous l’entière responsabilité du premier maillon de la chaine et sans garantie s’il n’y pas une vérification par le client (seconde partie) ou un tiers indépendant (tierce partie). Une solution possible demeure une certification dite « de légalité» ou une certification « bois contrôlé FSC » [30] car les exigences de légalité et de traçabilité sont inclues.

A noter que les documents de vente d’un produit certifié (en B to B) portent obligatoirement le numéro du certificat de l’entreprise certifiée qui édite ces documents, et non le numéro de certificat de l’entreprise ʺpremier maillonʺ de la Supply-Chain. Pour remonter jusqu’au premier maillon et connaître ainsi la forêt d’origine, il faut réaliser une traçabilité ascendante (de l’aval à l’amont). De manière imagée, on parle ici d’une origine en ʺsauts de puceʺ car il faut demander l’information à chaque entreprise successive jusqu’au premier maillon.

Nouvelle exigence imposée par le projet de loi UE sur la déforestation importée, la géolocalisation de la forêt d’origine (premier maillon) par le dernier maillon pourrait être connue par ʺsauts de puceʺ, ou bien par un ʺgrand sautʺ (directement au gestionnaire forestier). A savoir que la connaissance du pays d’origine est déjà obligatoire dans l’actuelle réglementation RBUE ; le critère sur la localisation de l’origine augmente sa précision.

Pour avancer dans l’analyse de cette nouvelle traçabilité, revenons à ce qu’est la traçabilité.

Tout d’abord, ce n’est pas une notion spécifique à la filière bois et ce n’est pas non plus une technologie (code à barres, QR Code, RFID, Blockchain, etc…) ou un logiciel (ERP, MES, CRM, PLM, WMS, etc… [31]) en particulier, ni une norme et pas même l’ISO 9001:2015, pourtant générique. Ensuite, il est difficile de préciser cette notion sans la considérer comme un système. En effet, tout comme la qualité, la traçabilité est en partie immatérielle et parfois complexe, d’où peu présentable ou compréhensible sur le papier. Autrement dit, qu’est-ce qu’une photo, un échantillon, un morceau de traçabilité ?

Concrètement, c’est d’un système de traçabilité dont il sera question ici avec des technologies, une organisation et des fonctions associées à des usages [32]. Avant de préciser en quoi la traçabilité dans cette proposition de loi est nouvelle, stricte et/ou précise, il est intéressant de remarquer que, malgré l’importance de ce terme dans l’article 9 et aussi dans l’article 8 (projet de loi de l’UE [1]), il n’y a pas de définition. Ce qui est fréquent, car hormis le règlement CE 178/2002 relatif à la sécurité des aliments (art. 3-15), peu de textes réglementaires comportent une définition du terme traçabilité. Dès lors, il est d’usage de se reporter à la définition la plus transverse du monde industriel, à savoir celle de l’ISO 9000:2015 que voici :

3.6.13 – traçabilité
Aptitude à retrouver l’historique, la mise en œuvre ou l’emplacement d’un objet (3.6.1). Dans le cas d’un produit (3.7.6) ou d’un service (3.7.7), la traçabilité peut être liée à :
• l’origine des matériaux et composants ;
• l’historique de réalisation ;
• la distribution et l’emplacement du produit ou du service après livraison.

On remarque clairement que l’exigence de traçabilité de l’origine de la nouvelle réglementation s’inscrit dans le cadre de la définition de l’ISO 9000 : 2015. Au fond, rien de nouveau et cette relative nouveauté est confirmée par la traçabilité de l’origine dans le secteur de la viande bovine [33] qui existe depuis le 17/02/1998 avec le logo VBF, reprise en 2002 dans un texte français et encore récemment en 2022 [34].

Il est ici question d’un usage du système de traçabilité pour informer tous les acteurs de la filière et au final le consommateur que le bois est issu d’une exploitation légale et n’ayant pas participé à la déforestation importée (objet du RDUE), voire d’une forêt sous gestion responsable si celle-ci est certifiée FSC et/ou PEFC (objet de la certification FSC et PEFC).

Cet usage d’un système de traçabilité s’inscrit dans un registre de gestion/déclaration de la preuve d’origine avec la définition de l’origine comme étant la zone d’exploitation forestière [35]. Autrement dit, un système de traçabilité sert ici à combattre la fraude et il est même question de retirer, rappeler et détruire des produits frauduleux, i.e. issus de la déforestation (voir art. 22-2-d du projet de texte réglementaire [1]). Le retrait et le rappel d’un produit sont intégrés dans cette nouvelle législation UE, ce qui est nouveau pour la filière bois par rapport au précédent texte RBUE (voir encadré). La traçabilité dans la filière bois doit prendre en compte à présent l’exigence de retrait et de rappel, tout comme l’industrie agro-alimentaire.

ʺExplication détaillée de certaines dispositions de la propositionʺ, ʺArticle 22: mesures de surveillance du marchéʺ [1] :
« Conformément à l’article 3 du présent règlement, on entend par ʺrappelʺ toute mesure visant à obtenir le retour d’un produit qui a déjà été mis à la disposition de l’utilisateur final, alors que le terme ʺretraitʺ fait référence à toute mesure visant à empêcher la mise à disposition sur le marché d’un produit présent dans la chaîne d’approvisionnement. »
Article 18, 4 :
« Les autorités compétentes informent en particulier les autorités compétentes des autres États membres lorsqu’elles détectent sur le marché un produit de base ou produit en cause qui n’est pas conforme au présent règlement, afin de permettre le retrait ou le rappel dudit produit de base ou produit dans tous les États membres. »
Article 22 : Mesures de surveillance du marché.
1) « lorsque les autorités compétentes constatent qu’un opérateur ou un commerçant ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent en vertu du présent règlement ou qu’un produit de base ou produit en cause n’est pas conforme au présent règlement, elles exigent immédiatement de l’opérateur ou du commerçant qu’il prenne des mesures correctives appropriées et proportionnées pour mettre fin à la non-conformité. »
2) « Les mesures correctives qui peuvent être imposées à l’opérateur ou au commerçant aux fins du paragraphe 1 comprennent au moins l’une des mesures suivantes:
a) rectifier tout cas de non-conformité formelle, notamment relatif aux dispositions du chapitre 2 du présent règlement;
b) empêcher la mise sur le marché de l’Union ou la mise à disposition sur le marché de l’Union du produit de base ou produit en cause, ou son exportation à partir de celui-ci;
c) retirer ou rappeler immédiatement le produit de base ou produit en cause;

d) détruire le produit de base ou produit en cause ou en faire don à des fins caritatives ou d’intérêt public. »

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Au bilan, la traçabilité dans cette réglementation n’est pas nouvelle au regard d’autres secteurs. Est-elle alors stricte ou précise ?

Les notions de traçabilité ascendante et descendante nous ont semblé intéressantes, tout comme l’approche « n-1/n+1 » (entreprise en amont ou fournisseur direct, et en aval ou client direct de l’opérateur) utilisée dans l’alimentaire et redéfinie ici par des « sauts de puce ». Étant donné les relations contractuelles de proche en proche, il semble possible que chaque acteur, depuis l’exploitation forestière fournisse au suivant le produit avec cette information, jusqu’au consommateur final (traçabilité descendante). De plus, dans le cadre d’un label, il semble alors possible que l’organisme d’audit et de certification puisse sonder la filière et aller vérifier si le transfert d’information est bien fait. Ce type de « sondage » sur une chaîne d’approvisionnement complète (de la forêt au consommateur) est d’ailleurs réalisé par l’organisme FSC depuis 2017 dans le cadre des vérifications de transaction qu’il réalise et dont les résultats, publiés, permettent notamment la suspension du certificat FSC des entreprises prises en défaut [36].

La traçabilité est précise au sens que l’origine agricole est plutôt bien définie (géolocalisation de la parcelle), avec le jour d’exploitation, mais cette précision n’est qu’en termes de résultat et non de moyens, ce qui risque d’être très perturbant. En effet, l’entreprise qui veut appliquer cette réglementation risque de se retrouver un peu perdue dans le choix des moyens à mettre en œuvre et va dépendre d’autres entreprises qui n’auront pas fait les mêmes choix de moyens, ce qui peut engendrer des distorsions du niveau de traçabilité dans la filière. De plus, comme pour d’autres secteurs (cf. bilan de la DGCCRF [37]), l’exigence de l’origine sans moyens définis, voire exigés, engendre de la fraude car des acteurs indélicats peuvent s’engouffrer dans cette absence de définition de moyens et en profiter pour frauder, étant donné que le contrôle de cette origine sera dès lors très complexe et pas certain, et par ailleurs si le nombre des contrôles de l’Etat demeure faible. Mais, les pouvoirs publics finissent le plus souvent par retrouver les fraudeurs (cf. bilan de la DGCCRF [37]).

L’autre point perturbant concerne les mélanges d’origines différentes. Là encore il s’agit d’un choix de moyens afin d’arriver à une liste des origines différentes (forêts, parcelles) pour le produit entrant dans l’UE. Dans ce cas, comme pour un mélange de lots dans d’autres secteurs, le produit importé comportera non plus une parcelle, mais une liste de parcelles.

A la lumière de notre expérience et des affaires de fraude des autres secteurs, un point crucial ici qui n’est malheureusement pas abordé par cette nouvelle réglementation et qui n’existe pas complètement dans la filière bois, même avec les labels déjà en place, est le marquage de traçabilité (ou identifiant de traçabilité) du produit à chaque stade, jusqu’au produit fini. Même s’il y a parfois un marquage à l’amont, au niveau des arbres et des grumes (ou d’un lot, c’est-à-dire un identifiant pour un ensemble de grumes homogènes, par exemple issu de la même parcelle), il est regrettable qu’un meuble ou une ramette de papier ne soit pas identifié au moins par un identifiant de traçabilité. Et cette lacune se retrouve dans la norme ISO 9000:2015, puisque la précédente version, la norme ISO 8402 de 1994 citait explicitement la notion d’identifications enregistrées ! Selon cette norme, la traçabilité était définie comme ʺl’aptitude à retrouver l’historique, l’utilisation d’une entité, au moyen d’identifications enregistréesʺ.

Où sont ici les identifications enregistrées dans la filière bois ? On arrive alors à une limite d’une obligation de résultats et il serait nécessaire que les acteurs privés et publics de la filière se mobilisent rapidement pour développer des bonnes pratiques de traçabilité précisant les modalités de marquage et d’identification à chaque étape, pour chaque produit intermédiaire ou fini. Avant que l’on évoque l’impossibilité d’avoir un marquage sur certains produits du fait de leur taille ou de leur fragilité, nous répondons qu’il est possible d’avoir un marquage indirect sur l’emballage et/ou un document accompagnateur (c’est mieux que rien) et que les œufs sont marqués d’un numéro de lot sur la coquille ! Il n’y a aucune impossibilité sur le plan technique et d’autres filières ont tout à fait bien réussi cette évolution ou changement ; quelques entreprises de la filière bois ont déjà cette avancée car certaines d’entre elles ont une obligation de traçabilité supérieure par des normes hors filière bois. Bien entendu, il y aura toujours des entités contre le changement …

Et, concernant les coordonnées de la parcelle qui sont exigées par l’article 9-1-d, on peut comprendre qu’elles posent un problème de confidentialité au regard du secret des affaires sur le sujet des ʺzones de ressourcesʺ [38]. C’est pourquoi, comme pour la filière bovine, mais aussi le secteur des batteries, la notion de ʺpasseportʺ avec des identifiants de traçabilité qui renvoient à des informations protégées apparait intéressante. A terme, il y aura peut-être un passeport pour un produit bois.

Ce qui est confirmé par l’actualité avec ʺOne Forest Summitʺ au Gabon qui s’est achevé le 03 mars dernier. En effet, le « Plan de Libreville » donne la traçabilité dans les objectifs à atteindre pour les « Engagements des entreprisesʺ : ʺ9. Promouvoir des solutions de traçabilité renforçant la confiance, l’efficacité et la durabilité » [39]. C’est un lien sans équivoque avec les exigences demandées par l’UE, comme cela a été le cas dans d’autres secteurs tels que l’alimentaire en 2002 ou encore les dispositifs médicaux en 2017.

C’est pourquoi, en conclusion, nous considérons que la traçabilité dans cette réglementation est nouvelle pour la filière bois, mais pas par rapport à d’autres secteurs, et précise dans le résultat attendu seulement. Et, elle n’est pas du tout ʺstricteʺ, bien au contraire, cette exigence de traçabilité n’est qu’un début qui appelle à définir des moyens rapidement. Dès lors, la filière bois va évoluer comme bon nombre de secteurs actuellement (textile, cuir, métaux, pierres précieuses, luxe, etc…) en profitant des nouvelles technologies toujours plus performantes, tout en prenant garde de les considérer QUE comme des moyens ; par exemple, le code 2D et la Blockchain, très en vogue actuellement, ne sont que des moyens, et non des résultats.

Une réglementation précise, mais pas si nouvelle.

Nous l’avons vu dans cet article, le contexte engendre une augmentation des exigences vers les entreprises afin de contribuer à la préservation des forêts : la maîtrise du risque et de la traçabilité sont au cœur du sujet. Les entreprises n’ont plus le choix : s’adapter. La question n’est plus d’y adhérer ou non (refuser, contourner ou diminuer volontairement les exigences), mais bien « quand » réaliser cette adaptation : maintenant (réaction pro-active et progressiste), ou dans l’urgence (réaction attentiste où seule la contrainte d’autorité permet d’avancer), c’est-à-dire attendre le premier contrôle des autorités compétentes associé à une prise de risque volontaire aux conséquences connues.
Tout comme en agroalimentaire, la contrainte réglementaire est devenue une opportunité et la traçabilité peut devenir un argument de vente [40]. Cette nouvelle réglementation contre la déforestation importée dans l’UE touche à la fois l’alimentaire et le non-alimentaire. Quelle que soit l’évolution, toutes les filières sont concernées et rattrapées par la fraude, la mondialisation des échanges et l’environnement.

(1) Vincent PELE est ingénieur du bois avec 25 ans d’expérience dans la certification de la gestion des forêts et des produits bois (entreprises, organismes de certification), auditeur FSC/PEFC/RBUE et consultant pour accompagner les entreprises dans leur démarche de certification et RSE. Fondateur de la start-up EKWATO, il a créé un logiciel en mode SAAS spécialisé dans le système de diligence raisonnée pour la filière bois.
Site : www.ekwato.com
Contact : vincent.pele@ekwato.com

(2) Jean-Luc VIRUEGA est ingénieur et docteur en génie Industriel. Il a plus de vingt ans d’expérience dans la traçabilité dans de multiples secteurs : alimentaire, industrie ou encore santé. Il a publié depuis 1999 des articles et des ouvrages à ce sujet et il également intervenant dans différents Masters. Il est consultant et expert de justice et de ce fait accompagne toute structure dans sa démarche de traçabilité.
Site : www.viruega.com
Contact : jl@viruega.com

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Références :

[1] : Communiqué de presse de la Commission européenne du 17/11/2021, https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_5916 ; Règlementation contre la Déforestation (importée) de l’Union Européenne (RDUE) ; European Union Deforestation Regulation (EUDR).
Règlement : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52021PC0706

[2] : FLEGT : Forest Law Enforcement, Governance and Trade
https://agriculture.gouv.fr/la-reglementation-europeenne-flegt-en-matiere-dimportation-de-bois-indonesien
http://www.euflegt.efi.int/es/web/apv-a-z/delivrance-autorisations-flegt

[3] : RBUE : le Règlement Bois de l’Union Européenne est l’outil de l’UE pour lutter contre le commerce de bois illégal, adopté le 20/10/2010 par le Parlement Européen et le Conseil, appliqué dans son intégralité depuis le 03/03/2013 ; https://agriculture.gouv.fr/le-reglement-sur-le-bois-de-lunion-europeenne

[4] : Loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

[5] : Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF) ; DDT : Direction départementale des Territoires (DDT) ; Direction départementale des Territoires et de la Mer (DDTM).

[6] : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/france-veut-mettre-fin-dici-2030-deforestation-causee-limportation-produits-non-durables-0

[7] : Comité Scientifique et Technique (CST-Forêt), mis en place en avril 2021 par l’AFD et le GRET ; ʺNormes bois et stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée [SNDI] : compatibilité et améliorations possibles.ʺ, Avril 2022 ; https://www.cst-foret.org/ressource/timber-standards-and-the-national-strategy-to-stopimported-deforestation-compatibility-and-possible-improvements/

[8] : https://www.wri.org/blog/2019/04/world-lost-belgium-sized-area-primary-rainforests-last-year

[9] : https://research.wri.org/gfr/latest-analysis-deforestation-trends

[10] : La situation des forêts du monde (SOFO), FAO 2022 ; https://www.fao.org/publications/sofo/2022/en/

[11] : ʺOverview of Competent Authority EU Timber Regulation checks, January – June 2019 ; Statistics of checks performed by EU Member States and EEA countries to enforce the implementation of the EU Timber Regulationʺ ; https://ec.europa.eu/environment/forests/pdf/UNEP%20WCMC%202019_Overview%20of%20CA%20checks%20January-June%202019_FINAL_17.01.2020.pdf

[12] : ʺPrésentation de la mise en œuvre des contrôles RBUEʺ par le ʺBureau des entreprises forestières et des industries du bois – MAAʺ (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation) et le ʺBureau de l’encadrement des impacts sur la biodiversité – MTEʺ (Ministère de la Transition Ecologique) ; atelier RBUE du 03 au 05/03/2021.

[13] : https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/deforestation-inc-comment-du-teck-birman-illegal-se-retrouve-vendu-en-france_5688743.html

[14] : pays en cours de processus APV, https://flegtvpafacility.org/countries/ ; informations sur le site officiel FLEGT : https://flegt.org/

[15] : Règlement (UE) n ° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE ; https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32010R0995

[16] : Biodiversité et changement climatique, 10/06/2021, https://www.ipbes.net/events/launch-ipbes-ipcc-co-sponsored-workshop-report-biodiversity-and-climate-change ; Rapport d’évaluation mondial sur la biodiversité et les services écosystémiques, 05/05/2019, https://ipbes.net/global-assessment.

[17] : ʺChangement climatique 2021 : la base des sciences physiquesʺ, GIEC, 09/08/2021, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/ ; ʺChangement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilitéʺ, GIEC, 28/02/2022, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/ ; ʺChangement climatique 2022 : atténuation du changement climatiqueʺ, GIEC, 04/04/2022, https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/.

[18] : rapport WWF ʺQuand les européens consomment, les forêts se consumentʺ, Avril 2021 ; https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2021-04/20210414_Rapport_Quand-les-europeens-consomment-les-forets-se-consument_WWF.pdf

[19] : ʺTimber standards and the National Strategy to Stop Imported Deforestationʺ, Avril 2022 (CST-Forêt) ; https://www.cst-foret.org/wp-content/uploads/CST-Foret_report-Timber-standards_-Piketty-Garcia-2022.pdf

[20] : communiqué de presse du Conseil Européen du 28/06/2022 ; https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/06/28/council-agrees-on-new-rules-to-drive-down-deforestation-and-forest-degradation/

[21] : communiqué de presse de l’UE du 06/12/2022 ;  https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_7444

[22] : ʺWhat are the main causes of tree cover loss?ʺ, WRI ; https://research.wri.org/gfr/forest-extent-indicators/forest-loss#how-much-tree-cover-is-lost-in-tropical-versus-temperate-and-boreal-forests

[23] : ʺPas de matériaux certifiés FSC en provenance de Russie et de Biélorussie jusqu’à la fin de l’invasionʺ, 08/03/2022 ; https://fr.fsc.org/fr-fr/newsfeed/pas-de-materiaux-certifies-fsc-en-provenance-de-russie-et-de-bielorussie-jusqua-la-fin-de

[24] : ʺBois provenant de Russie et de Biélorussie classé par PEFC International comme bois de conflit non éligible à la certification PEFCʺ, 08/03/2022, https://www.pefc-france.org/articles/bois-provenant-de-russie-et-de-bielorussie-classe-par-pefc-international-comme-bois-de-conflit-non-eligible-a-la-certification-pefc/ [25] : ʺMise à jour sur les activités de surveillance de l’ASI en Russieʺ, 08/03/2022, 08/03/2022, https://www.asi-assurance.org/s/post/a1J5c00000S0idmEAB/p0943

[25] : ʺMise à jour sur les activités de surveillance de l’ASI en Russieʺ, 08/03/2022, 08/03/2022, https://www.asi-assurance.org/s/post/a1J5c00000S0idmEAB/p0943

[26] : ʺMise à jour sur les activités de surveillance du FSC au Bélarusʺ, 04/03/2022, https://www.asi-assurance.org/s/post/a1J5c00000S0fkkEAB/p0941

[27] : norme FSC en chaîne de contrôle ʺFSC-STD-40-004 V3-1ʺ.

[28] : norme PEFC en chaîne de contrôle ʺPEFC ST 2002:2020 (Chaîne de contrôle des produits issus de la forêt et des arbres)ʺ.

[29] : article « Nouvelle version des normes PEFC applicable à partir du 15/08/2022 » ; https://www.ekwato.com/nouvelle-version-des-normes-pefc-applicable-a-partir-du-15-08-2022

[30] : ʺFSC controlled wood standard for forest management enterprisesʺ (FSC-STD-30-010, V2-0 EN) pour les gestionnaires forestiers ; norme ʺRequirements for Sourcing FSC Controlled Wood (FSC-STD-40-005 V3-1 EN)ʺ pour les entreprises souhaitant mettre en place un système de diligence raisonnée pour éviter des sources non-acceptables ; https://connect.fsc.org/document-centre?dspace_doc_type=0&search=controlled+wood

[31] : ERP (Enterprise resource planning), MES (Manufacturing Execution System), CRM (Customer Relationship Management), PLM (Product Lifecycle Management), WMS (Warehouse Management System).

[32] : « Traçabilité : outils, méthodes et pratiques » aux Éditions d’Organisation, Jean-Luc VIRUEGA, Janvier 2005.

[33] : « Le nouvel usage de la traçabilité dans le secteur français de la viande bovine », Jean-Luc VIRUEGA, Michel VERNET, Revue française de gestion industrielle, vol 18 (4), Novembre 1999.

[34] : Décret n° 2022-65 du 26 janvier 2022 qui modifie le décret n° 2002-1465 du 17 décembre 2002.

[35] : « La traçabilité dans l’environnement et le développement durable », Jean-Luc VIRUEGA, Traité traçabilité des Techniques de l’Ingénieur, Juin 2010.

[36] : vérification des transactions : https://fr.fsc.org/en/node/28446 ; https://connect.fsc.org/system-integrity/supply-chain-integrity

[37] : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/dgccrf/rapports_activite/2021/ra-dgccrf-21-digital.pdf?v=1657549468

[38] : Recommandations conjointes des représentants du secteur forestier européen à l’intention du Conseil de l’UE lors du trilogue sur la proposition de règlement relatif aux produits sans Déforestation (17/11/2022), https://www.atibt.org/files/upload/news/RBUE/Recommandations_conjointes_des_representants_du_secteur_forestier_europeen_a_lintention_du_Conseil_de_lUE_.pdf

[39] : Communication du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Ministère de la Transition énergétique ;  https://www.ecologie.gouv.fr/one-forest-summit

[40] : https://www.lesechos.fr/2001/09/jean-luc-viruega-la-tracabilite-est-un-argument-de-vente-726699

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